La corde au corps

Publié le par Lily

       
Escalade d’une paroi naturelle… ça fait douze ans que je n’ai pas fait d’escalade, depuis le lycée, (ouh là, je me sens vieille, quand j'écris ça!) ça fait loin, je me sens un peu dépassée, un peu étrangère. Les autres qui sont ici sont à l’aise. En couple depuis longtemps, pour la plupart, ils considèrent les parois avec habitude, excitation, ils s’élancent. Moi, je suis seule, avec d’autres (Bizarre, autour de moi, les novices sont tous célbataires, aussi...). J'ai une trouille bleue …
Ira? Ira pas?

Et puis soudain, me voilà vraiment seule face à l’effort, à flanc de falaise, collée contre la roche grise, irrégulière, je suis engoncée dans une sorte de culotte de cordes qui m’enserre les cuisses et la taille. Enfin, pas vraiment seule, il y a cet ami, là, qui m’assure. Mais pour me hisser jusqu’en haut, à 16 mètres du sol, je ne peux compter que sur mes petits muscles. Wouahou ! J’ai la frousse, qu’est-ce que je fais là ? Je dépasse ma rupture, la rupture en moi en m’accrochant au roc, aux aspérités aiguës dures, au dur, j’affronte le dur,  qui ne peut de toutes façons écailler ma douleur interne, mon mal qui me ronge, qui rougit mes entrailles, qui raille et qui raye les parois fragiles, fines de mon cœur.


Ce haut, ce dur, cette chute imminente, ce sol là en bas, et moi, accrochée par le bout de mes doigts, par les orteils qui s’agrippent ridiculement au petit bout d’horizontalité qui dépasse de cette masse grise où courent les racines grimpantes des végétaux ; comment font-ils pour défier tout ce vide ?
Le sol se balance tout en bas, et moi je ne suis raccordée à la vie que par cette ficelle artificielle en qui je dois accorder ma confiance, à ce bras distrait qui se tend, à cette main étrangère qui balance le mou. Faire confiance à l’autre… Mais tout ça ne me fait pas peur, même si je tremble, de tous mes muscles ankylosés, de mes doigts qui,  à force de serrer les prises taillées sur la pierre brute, me semblent devenir à leur tour roc et durs ;  mes cuisses se tendent, mes mollets n’auront jamais été plus présents, qu’est-ce que je les sens !! Et pourtant, l’obstacle qui paraît insurmontable, la verticalité, le vertige... Rien ne m’apparaît plus rudes que les coups de couteaux qui me transpercent le ventre et les entrailles, plus brutal que le dard qui s’enfonce encore dans le creux de ma chair à vif pour y faire des entailles et des filigranes. Je me suis lancée un défi : ne plus penser à lui, mais plus je pense à ne plus y penser, plus j’y pense, et c’est énervant, déprimant, larmoyant, zut !! Et même quand je m’élance, quand je m’écorche les mollets ou l’avant-bras aux rochers agressifs, je me sens moins blessée que par ce sentiment qui prend toute la place dans moi. Je suis fatiguée de ressentir, ressentons plutôt la peur du vide…

Tout cela, ça fait longtemps, déjà, quelques mois, une éternité. Ce n'est plus moi, et tant mieux... Le soleil brille...
Aujourd'hui, j'ai plus peur du vide que de l'absence de l'autre... Bon signe. J'adore faire de l'escalade, avancer. Avancer grâce à ma force, et à celle impulsée par l'amitié qui est toujours là, à m'assurer. Merci, mes amis.

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